Selon les dernières données publiées par le Bureau central des statistiques (BCS), le salaire mensuel brut moyen en Israël a atteint un sommet historique en mars 2025, s’élevant à 14 800 shekels. Cette progression marquée — une hausse de 7,5 % par rapport au mois précédent — suscite à la fois optimisme et interrogation.
Elle témoigne de dynamiques économiques complexes, mêlant facteurs conjoncturels, transformations structurelles du marché de l’emploi et inégalités persistantes entre régions et secteurs.
Une hausse marquée par des facteurs saisonniers
Chaque année, le mois de mars constitue une période atypique dans la mesure où de nombreuses entreprises procèdent à la distribution de primes annuelles liées aux performances, notamment dans les secteurs technologiques et financiers.
En Israël, cette pratique est particulièrement répandue dans les entreprises cotées en bourse ou financées par des capitaux étrangers, où les bonus peuvent représenter jusqu’à plusieurs mois de salaire.
De plus, la fin du premier trimestre est souvent l’occasion de révisions salariales, résultant d’accords collectifs ou de négociations individuelles. Ce double effet — primes et ajustements — produit mécaniquement une poussée du salaire moyen, qu’il convient d’interpréter avec prudence dans une perspective à long terme.
Le poids croissant du secteur technologique
Si la conjoncture joue un rôle, la trajectoire ascendante du salaire moyen reflète aussi des évolutions structurelles profondes.
L’économie israélienne s’est progressivement transformée en une économie fondée sur l’innovation, avec une concentration exceptionnelle d’entreprises dans les secteurs de la cybersécurité, des biotechnologies, de l’intelligence artificielle et de la fintech. Ces industries, qui requièrent une main-d’œuvre hautement qualifiée, offrent des salaires bien au-dessus de la moyenne nationale.
En 2024, par exemple, le salaire mensuel moyen dans le secteur des technologies de l’information dépassait les 30,000 shekels, soit plus du double du salaire moyen global.
Cette concentration de hauts salaires tire mécaniquement la moyenne nationale vers le haut, même si elle ne reflète pas nécessairement l’évolution des revenus dans les secteurs plus traditionnels ou à faible valeur ajoutée.
Disparités régionales et sectorielles persistantes
L’augmentation du salaire moyen ne doit pas masquer les fortes inégalités de rémunération qui subsistent entre les différentes régions d’Israël. Les grandes agglomérations, notamment Tel Aviv, Herzliya et Jérusalem, concentrent l’essentiel des emplois bien rémunérés dans les services avancés et les hautes technologies.
À l’inverse, les régions périphériques — le Néguev, la Galilée, certaines zones du Centre — peinent à attirer les investissements.
De la même manière, certains secteurs — agriculture, nettoyage, garde d’enfants, aide à la personne — continuent de verser des salaires modestes, parfois proches du salaire minimum, fixé à 5 571 shekels par mois en 2025.
Les travailleurs de ces secteurs, souvent issus de populations vulnérables (travailleurs étrangers, minorités, jeunes sans diplôme), ne bénéficient pas de la dynamique haussière globale.
Conséquences économiques et sociales de cette évolution
L’augmentation du salaire moyen, bien que partiellement conjoncturelle, soulève plusieurs questions économiques de fond. D’un côté, elle reflète une économie en bonne santé, où la demande en compétences augmente et où les entreprises disposent de marges de manœuvre pour récompenser leurs salariés.
De l’autre, elle met en lumière une polarisation croissante du marché du travail entre des professions hautement rémunérées et des emplois précaires ou mal payés.
Cette polarisation risque d’exacerber les tensions sociales, d’autant plus que l’inflation reste présente : les prix des biens de consommation, du logement ou de l’énergie continuent de croître, rendant le coût de la vie difficilement soutenable pour une partie de la population.
Il devient donc crucial de réfléchir à des politiques publiques qui favorisent une répartition plus équitable des fruits de la croissance.
Quelles politiques pour une croissance inclusive ?
Plusieurs leviers peuvent être activés pour atténuer ces écarts et renforcer la résilience du marché du travail israélien :
- Investir dans la formation professionnelle : la montée en compétence des travailleurs, notamment ceux issus de secteurs traditionnels, est essentielle pour élargir l’accès aux emplois qualifiés ;
- Encourager le développement économique régional : des incitations fiscales et des infrastructures de qualité dans les régions périphériques pourraient stimuler la création d’emplois bien rémunérés en dehors des grandes métropoles ;
- Renforcer le dialogue social : les accords collectifs sectoriels, lorsqu’ils sont bien négociés, permettent d’améliorer les conditions salariales sans nuire à la compétitivité ;
- Soutenir l’emploi des femmes, des jeunes et des populations arabes ou ultraorthodoxes, encore trop peu représentés dans les secteurs dynamiques de l’économie israélienne.
Une comparaison internationale
À titre de comparaison, le salaire moyen brut en Israël, à 14 800 shekels (environ 3 650 euros), demeure inférieur à celui observé dans des pays comme l’Allemagne ou la France, mais supérieur à celui de nombreux pays de l’OCDE.
Cela reflète une économie de taille intermédiaire, innovante mais confrontée à des défis de cohésion sociale.
En somme, la progression du salaire moyen en Israël en mars 2025 constitue un indicateur encourageant, mais elle ne saurait à elle seule refléter la complexité du marché du travail.
La véritable question demeure : cette croissance des salaires profitera-t-elle à l’ensemble des travailleurs, ou ne fera-t-elle que creuser les écarts déjà existants ? C’est à cette interrogation que devront répondre les décideurs publics au cours des années à venir.